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Ordonnance n° 06/05/1944 relative à la répression des délits de presse. (J.O.R.F. du 20 mai 1944).

Une ordonnance en date de ce jour sur le « Régime de la presse en temps de guerre» a établi la liberté de la presse.

La suppression de la censure préventive en matière politique impose néanmoins aux au torités responsables d’être en mesure de pou voir réprimer les aous s’il venait à s’en produire.

La présente ordonnance a pour but de ré pondre aux considérations suivantes :

1° il n’est pas possible de tolérer l’impunité ou l’insuffisante punition de ceux qui profiteraint de la liberté de la presse pour troubler l’opinion en répandant des nouvelles fausses ou calomnieuses ;

2° il convient également, dans la répression de ces délits, d’éviter des procès dangereux par une publicité ostentatoire.

En conséquence, l’ordonnance élève tout d’abord le taux des amendes susceptibles d’étre prononcées contre les diffamateurs ou auteurs d’articles injurieux, de façon que ceux qui encourent une amende soient vraiment frappés.

Les nouveaux taux oscillent entre un mi nimum relativement bas et un maximum très élevé ;

ils permettront aux juges d’individualiser les sanctions (article 1er).

L’article 3 concerne le délit de fausses nouvelles. Outre leur publication ou leur reproduction, il vise également leur diffusion ; cette mention est utile pour éviter toute divergence d’interprétation, la diffusion n’ayant pas, d’après certaines opinions d’ailleurs isolées, quelque soit le nombre des abonnés d’une agence d’information, le ca ractère de publicité qui permettrait de la faire tomber sous le coup de l’incrimination qui atteint la publication. De plus, cet ar ticle élargit l’incrimination en punissant les fausses nouvelles susceptibles d’entraver l’effort de guerre de la nation. Enfin, il aggrave les pénalités qui étaient prévues par l’article 27 de la loi de 1881.

On rapprochera de cet article 3, l’article 10 qui, par l’adjonction de l’article 27 à l’énumération des articles visés par l’article 49 de la loi de 1881, permet d’arrêter avant jugement les auteurs de fausses nouvelles, même s’ils sont domiciliés sur le territoire.

Il a paru nécessaire également de pouvoir prendre une sanction sévère à l’égard des journaux coupables de délits contre la sûreté de l’Etat, en suspendant leur publication.

Cette suspension, qui ne peut excéder trois mois, devra être prononcée par décision ju diciaire (article 14).

Dans un autre ordre d’idées, il était utile de mettre obstacle à une pratique’qui, sous prétexte de rendre compte des débats, don nait en réalité à la diffamation une publicité plus marquante (article 8).

La liberté de la presse ne doit pas permet tre de jeter le trouble dans les foyers, sous le prétexte de rendre service au pays. Elle ne doit pas permettre de raviver constamment des accusations anciennes, ni de rappeler des faits sur lesquels les lois elles-mêmes ont commandé de jeter l’oubli. Ces réservés faites, il doit être loisible à ceux qu’inspire le juste intérêt de l’Etat de porter par la voie du journal des accusations méritées contre ceux qui, par les actes de leurs fonctions ou par leur activité personnelle, compromettent la politique ou l’économie du pays. Aussi, leur sera-t-il permis, dans des cas plus nombreux, de prouver la vérité de leurs allégations et ils devront être renvoyés des fins de la poursuite s’ils y réunissent.

C’est à e s préoccupations complexes que répond l’article 6 de l’ordonnance.

La protection des citoyens doit être assurée par des mesures efficaces. Oest a quoi tendent :

— l’article 5. qui définit de façon précis la démarcation entre la diffamation des nommes publics, suivant qu’elle vise leurs activités publiques ou leurs activités prévisées ;

— l’article 7, destiné a arrêter les manœuvres qui consisterai nt à reproduire avec une apparence de bonne foi, dans un journal de grande audience, les nouvelles diffamatoires publiées pour la première fois dans un périodique sans surface, dont la condamnation serait vaine ;

— l’article 11, qui a pour but en imposant la procédure de la citation directe, de hâter le jugement des procès de diffamation ;

l’inneficacité de la législation antérieure résulterait grande partie de la lenteur de la procédure prévue par la loi de 1881.

Le Comité français de la Libération nationale, 

Sur le rapport du Commissaire à l’Information, 

Vu l’ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du Comité français de la Libération nationale ;

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la pressse ;

Vu le décret du 1er septembre 1939 réprimant la publication d’information de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’esprit de l’armée et de la population ;

Vu l’ordonnance du 6 mai 1944 relative au régime de la presse en temps de guerre ;

 

Le Comité juridique entendu.

ORDONNE

Article 1er. — L’amende prévue par l’article 24 (alinéa 1er), 25, 26, 30, 31, 32 (alinéa 2) 34, 36, 37 et 40’ de la loi du 29 juillet 1881 sera de 1.000 frs à 1.000.000 de 1rs.

L’amende prononcée en application des articles 32 (alinéa 1) et 33 (alinéa 1 et 2) sera de 500 à 200.000 francs ; elle pourra s’élever à 500.000 francs dans le cas prévu à l’article 33 (alinéa in fine).

Art. 2. — L’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 est complété par un second alinéa ainsi conçu :

« les peines prévues à l’alinéa précédent 

« sont applicables à l’offense à la personne 

« qui exerce tout ou partie des prérogatives 

« du Président de la République ».

Art. 3. — L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881, modifié par le décret-loi du 30 octobre 19.35, est modifié et complété comme suit :

« La publication, la diffusion ou la repro-

« duction, par quelque moyen que ce soit,

« de nouvelles fausses, de pièces fabriquées,

« falsifiées ou mensongèrement attribuées

« à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi,

« elle aura troublé la paix publique ou au-

« ra été susceptible de la troubler, sera punie

« d’un emprisonnement de six mois, à trois

« ans, et d’une amende de 1.000 à 1.000.000

« de francs, ou de l’une de ces deux peines

« seulement.

« Les mêmes faits seront punis d’un em-

« prisonnement d’un an à cinq ans et d’une

amende de 10.000 à 3 000.000 de francs,

« lorsqu la publication, la diffusion ou la

« reproduction faite de mauvaise foi sera

« de nature a ébranler la aiscipline ou le

« moral des armées ou à entraver l’effort 

« de guerre de la Nation ».

Art. 4. — L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 est modifié et remplacé comme suit :

« Toute allégation ou imputation d’un fait

« qui porte atteinte à l’honneur ou à la

« considération de la personne ou du corps

« auquel le fait est imputé est une diffa-

« mation. La publication directe ou par voie

« de reproduction de cette allégation ou de

« cette imputation est principale, même si

« elle est faite sous forme aubitative ou si

« elle vise une personne ou un corps non

« expressément nommés, mais dont l’iden-

« tification est rendue possible par les ter-

« mes des discours, cris, menaces, écrits ou

« imprimés. placardés ou affiches incrimi

« nés.

« Toute expression outrag ante, termes de

« mépris ou invective qui ne renferme l’im-

« putation d’aucun fait est une injure ».

Art. 5. — L’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 est complété par un second alinéa ainsi conçu :

« la diffamation contre les mêmes person-

« nes concernant la vie privée relève de

« l’article 32 ci-après ».

Art. 6. — Il est ajouté à l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 un alinéa 2 bis ainsi conçu :

la vérité des faits diffamatoires peut tou-

« jours être prouvée, sauf :

« a) lorsque l’imputation concerne la vie

« prix ée de la personne ;

« b» lorsque l’imputation se réfère à des faits

« qui remontent à plus de dix années ;

« c) lorsqu: l’imputation ne réfère à un

« fait constituant une infraction amnistiée

« ou prescrite, ou qui a donné lieu à une

« condamnation effacée par la réhabilita-

« tion ou la révision ».

Art. 7. — Il est ajouté à la loi du 29 juillet 1881 un article 35 bis ainsi conçu :

« Toute reproduction d’une imputation qui 

« a été jugée diffamatoire sera réputée faite

« de mauvaise foi, sauf preuve contraire par

« son auteur ».

Art. 8. — L’article 39 de la loi du 29 juillet 1881, modifié par la loi du 16 novembre 1912, est modifié ainsi qu’il suit :

« Il est interdit de rendre compte d’au-

« cun procès en diffamation ou en injures,

« ainsi que des débats de procès en déclara-

« tion de paternité, en divorce et en sé-

« paration de corps. Cette interdiction ne

« s’applique pas aux jugements qui pourront

« toujours être publiés ».

« Dans toutes affaires civiles, les cours

« et tribunaux pourront interdire le compte

« rendu du procès.

« Il est également interdit de rendre

« compte des délibérations intérieures soit

« des jurys, soit des cours et tribunaux.

« Toute infraction à ces dispositions sera

« punie d’une amende de 1.000 à 300.000 fr. «

Art. 9. — L’article 45 de la loi du 29 juillet 1881. modifié par les lois des 16 mars 1893 et 10 janvier 1936, est modifié et complété comme suit :

« Les infractions aux lois sur la presse sont déférées aux tribunaux correctionnels, sauf :

« a) dans les cas prévus par l’article 23.

« en cas de crime ;

b) lorsqu’il s’agit de simples contraven-

« tions ».

Art. 10. — L’article 49. alinea 3 de la loi du 29 juillet 1881 est modifié et complété comme suit :

« Si le prévenu est domicilie en France.

« il ne pourra être préventivement arrêté.

« sauf dans les cas prévus aux articles 23.

« 24. paragraphes 1 et 3. 25 et 27 ci-des-

« sus ».

Art. 11. — En matière de délits de presse est seule applicable la voie de citation directe, à l’initiative soit du Ministère Public, soit de la partie lésée.

Le délai entre la citation et la comparution devant le tribunal correctionnel sera de 15 jours francs. Dans tous les cas, le tribunal correctionnel sera tenu de statuer au fonds dans le délai maximum d’un mois a

compter de la date de la première audience.

Art. 12. — L’article 52 ue la loi du 19 juillet 1881 est modifié comme suit :

« Quant le prévenu voudra être admis a

« prouver la vérité des faits diffamatoires,

« conformément aux dispositions de l’arti-

« de 35 de la présente loi, il devra, dans

« le délai de 10 jours* après la signification

« de la citation, faire signifier au Ministère

« public ou au plaignant au domicile par

« lui élu, suivant qu’il est assigné à la re-

« quête de l’un ou de l’autre :

« 1° les faits articulés et qualifiés dans

« la citation, desquels il entend prouver la

« vérité ;

« 2° la copie des pièces ;

« 3° les noms, professions et demeure des

« témoins par lesquels il entend faire la

« preuve.

« Cette signification contiendra élection

« de domicile près le tribunal correctionnel,

« le tout à peine d’être déchu des droits de

« faire la preuve ».

Art. 13. — L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 est modifié et complété comme suit :

« Dans les 5 jours suivants, en tout cas

« au moins 3 jours francs avant l’audience,

« le plaignant ou le Ministère public, suivant

« les cas, sera tenu de faire signifier au pré-

« venu, au domicile par lui élu, les copies

« des pièces, et les noms, professions et de-

« meure des témoins par lesquels il entend

« faire la preuve contraire sous peine d’etre

« déchu de son droit ».

Art. 14. — En cas de condamnation prononcée en application des articles 23, 24 alinéas 1 et 2, 25 et 27 de la loi du 29 juillet 1881, la suspension du journal ou du périodique pourra être prononcée par la même décision de justice, pour une durée qui n’excédera pas trois mois. Cette suspension sera sans effet sur les contrats de travail qui liaient l’exploitant, la quel reste tenu de toutes les obligations contractuelles ou légales en résultant.

Art. 15. — Sont abrogées toutes disposilions contraires à la présente ordonnance.

Art. 16. — La présente ordonnance, qui est applicable à l’Algérie, sera publiée au Jour nal Officiel de la Republique Française et exécutée comme loi.

DE GAULLE.

Par le Comité français

de la Libération nationale :

Le Commissaire à l’Information,

Henri BONNET.

Le Commissaire à la Justice,

Français DE MENTHON.

Le Commissaire à l’Intérieur,

Emmanuel D’ASTIER:

Le Commissaire à la Guerre,

André DIETHELM.

Le Commissaire à FAir,

Fernand GRENIER.

Le Commissaire à la Guerre,

Louis JACQUINOT.

Le Commissaire aux Affaires étrangères,

MASSIGLI.